Le salut dans le catholicisme et dans l’islam
L’homme a-t-il besoin d’être sauvé ? Voilà une question qui mérite d’être posée au chrétien et au musulman. Si les chrétiens comme les musulmans croient que l’homme peut aller au paradis, ils diffèrent cependant sur la notion de salut. Voici quelques éclaircissements.
Bien que chrétiens comme musulmans s’entendent pour qualifier l’homme digne d’aller au Paradis de « juste », ce terme renvoie à des réalités bien différentes.
Pour les chrétiens, il n’a pas fallu moins que le sacrifice du Fils de Dieu Lui-même sur la croix pour que les portes du Paradis nous soient ouvertes. Scandale pour les juifs, folie pour les païens, incompréhension pour les musulmans qui se considèrent justifiés en reconnaissant Allah pour Dieu et Muhammad pour Son prophète. En Islam, il n’est donc pas question de l’action de la grâce dans le cœur de l’homme pour être sanctifié.
Une divergence de fond
De telles divergences dans les voies du salut prodiguées par ces deux religions trouvent leur origine dans des visions de l’homme et de Dieu radicalement différentes. Sur le plan anthropologique, le problème consiste à savoir si l’homme a, oui ou non, besoin d’être sauvé. Notre nature humaine est-elle blessée par le péché originel ou avons-nous en nous-mêmes les moyens de notre justification ? D’un point de vue théologique, islam et christianisme s’opposent sur la relation que nous entretenons à Dieu : Dieu est-il un Sauveur ou un juge ? Les divergences sur la manière dont Dieu s’est révélé et sur les moyens qu’Il nous donne pour notre sanctification rendent compte des oppositions que nous rencontrons sur notre relation au Créateur.
La nature humaine a-t-elle été blessée par le péché originel ?
«Par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée en lui inspirant sa perversion et sa piété ! » (Coran, sourate 91 – le Soleil, v7-8). Pour le Coran, l’inclination au mal n’est nullement la conséquence du péché originel mais l’expression de la volonté de Dieu qui a créé l’homme avec un égal penchant pour le bien et pour le mal. Si les musulmans croient qu’il y a eu un péché originel commis par Adam, ils refusent l’idée selon laquelle ce péché aurait atteint toute l’humanité, et ce pour deux raisons :
1. Tout d’abord parce qu’Allah a pardonné son péché à Adam : « Adam reçut les paroles de son Seigneur. Allah accepte son repentir, car c’est Lui qui accepte le repentir, Il est très miséricordieux ! » (Sourate 2 – la Vache, v37)
2. Egalement parce qu’ils considèrent comme injuste que les fautes de l’un retombe sur les autres : « Quiconque s’égare, ne s’égare qu’à son propre détriment. Aucun ne portera la charge d’un autre. » (Sourate 17 – Le voyage nocturne, v15). Puisque la nature humaine est telle que Dieu l’a voulue, elle n’a donc pas besoin d’être sauvée. L’homme a en lui les moyens de sa sanctification, à condition d’adhérer à la foi musulmane et d’obéir à la loi d’Allah communiquée dans le coran et dans les faits et gestes de Muhammad.
Les musulmans font d’ailleurs un vif reproche à l’anthropologie chrétienne : n’y a-t-il pas une injustice à croire que toute l’humanité porte en elle la culpabilité d’un péché qu’elle n’a pas commis ? Question à laquelle il faut répondre.
Notre adhésion au dogme du péché originel ne consiste pas à croire en la transmission d’une culpabilité aux innocents mais à la non-transmission de quelque chose. En péchant, Adam et Eve ont perdu la grâce, la vie d’amitié avec Dieu. Or on ne peut transmettre ce que l’on n’a pas. Ainsi, toute personne naît privée de la grâce et ne retrouve cette vie d’amitié avec Dieu que par le baptême.
La concupiscence, cette attirance que nous avons pour le mal, n’est donc pas l’œuvre de Dieu mais la conséquence du rejet de Dieu. Le Seigneur étant parfaitement bon, Il ne peut pas être à l’origine du mal qui est le signe de l’absence de Dieu. Dans la lettre aux Romains, saint Paul décrit cette expérience que nous faisons tous et qui témoigne de la réalité de notre nature blessée : « Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas » (Rm 7,19). L’expérience que nous faisons tous de nos faiblesses et de notre incapacité à nous justifier par nos seules forces nous montre combien nous avons besoin d’un Sauveur.
Comment accéder au Paradis ?
« Ceux, à qui nous avons révélé le Livre, le récitent conformément aux règles de la récitation. Voilà ceux qui croient. Ceux qui n’y croient pas sont les perdants. » (Sourate 2 – La vache, v121). Si l’intervention d’Allah semble première pour que l’homme soit un bon croyant, cette intervention reste extérieure à l’homme : Allah a communiqué par l’intermédiaire de Muhammad un texte auquel les hommes doivent se soumettre. C’est en obéissant à la loi que le musulman est un bon croyant et pourra ainsi accéder au Paradis.
Mais n’en était-il pas de même dans l’Ancien Testament ? Il est vrai que, dans sa pédagogie, Dieu a commencé par donner une loi aux hommes. Cette loi était avant tout un rappel de ce qui était inscrit positivement dans le cœur de l’homme : « Tu ne tueras pas » renvoie au fait que nous sommes faits pour vivre, il est inscrit dans notre nature « Sois un vivant ! »
Dieu a communiqué cette Loi pour que les hommes se rendent compte qu’il leur est impossible, par leurs seules forces, de la respecter. Notre nature est certes capable de faire le bien et elle n’est pas entièrement pervertie mais elle est aussi blessée. Sans Dieu, sans sa Grâce, nous ne pouvons suivre la Loi.
Dans la lettre aux Romains, saint Paul nous dit que la Loi « est intervenue pour que se multipliât la faute ; mais où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé : ainsi, de même que le péché a régné dans la mort, de même la grâce règnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 5, 20-21). C’est dans le temps que Dieu fait comprendre aux hommes qu’ils n’ont pas en eux-mêmes les moyens de leur sanctification. Ce n’est qu’en participant à la bonté de Dieu que nous sommes bons. Le Christ est venu nous inviter à vivre une relation personnelle avec Lui pour que nous le laissions agir en nous. C’est dans l’intimité de notre âme que Dieu vient nous guérir et nous sanctifier. C’est en collaborant à la grâce que nous parvenons à poser des actes de miséricorde qui vont bien au-delà de nos capacités naturelles.
Etre chrétien, c’est appartenir à la religion du « et » : nous devenons saints par l’action de Dieu en nous, et en usant de notre liberté pour collaborer à sa grâce.
Les musulmans considèrent le coran comme ultime révélation de Dieu. Mais tandis que le Christ nous avait libérés de notre incapacité à suivre la Loi en nous ouvrant à la vie de la grâce, le Coran ramène l’homme à une orthopraxie, c’est-à-dire une rectitude quant à la loi et à la justice promues par le coran. Puisque l’action d’Allah est extérieure à l’homme et puisque l’homme a en lui les capacités à vivre saintement, le Dieu des musulmans tient avant tout la place du juge qui séparera les justes des infidèles.
En tant que chrétiens, nous croyons également à la justice de Dieu. En effet, la miséricorde ne s’oppose pas à la justice. Mais nous croyons que Dieu appelle chaque homme à vivre de sa vie et lui donne par l’intermédiaire des sacrements les secours nécessaires pour grandir en sainteté, c’est-à-dire pour participer de manière toujours plus intense à la bonté même de Dieu.
Le rôle de l’Angélus
Nous retrouvons dans l’oraison de l’Angélus un magnifique condensé de notre foi en la justification par l’action de la grâce en nos âmes : « Daignez, Seigneur, répandre votre grâce en nos âmes afin qu’ayant connu par la voix de l’ange l’Incarnation de votre Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, nous puissions, par les mérites de Sa Passion et de Sa Croix, parvenir à la gloire de Sa divine Résurrection. Nous vous le demandons par le même Jésus-Christ, notre Seigneur ». Cette prière fut recommandée en 1456 par le pape Calixte III pour la conversion des musulmans et pour la paix. Cette prière retrouve toute son actualité 500 ans plus tard.
Des pistes pour la mission
Nous avons deux moyens simples d’évangéliser les musulmans. D’abord nous pouvons prier l’Angelus pour que les musulmans puissent rencontrer le Christ et accueillir sa grâce. Ensuite nous pouvons poser des questions aux musulmans que nous rencontrons : « Comment fais-tu pour aller au Paradis, pour être sauvé ? » puis « Comment es-tu sûr d’aller au Paradis, d’être sauvé ? ». L’islam ne propose aucune certitude sur cette question puisque Dieu n’a pas sauvé l’homme. Le chrétien en revanche est certain d’être sauvé car il accueille par sa foi et ses œuvres le salut offert par Jésus-Christ. Voilà la Bonne Nouvelle que seul la foi chrétienne apporte et que l’islam ne propose pas.
Abbé Mathieu Grenier